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Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

mardi 16 octobre 2012

"Four Lane Road" Route à quatre voies (E.Hopper1956)


C’est la voix de Dolly qui le fait sursauter. Ça faisait bien cinq minutes qu’elle le laissait tranquille !
 ─ Bill ! Tu te décides ou quoi ?
─ Hum !
─ C’est quand même la troisième fois que je t’appelle ! Ça va être froid et tu vas encore râler.
─ Je ne râle pas.
Ses lèvres lâchent avec lassitude quatre mots : Je- ne- râle- pas.
─ C’est pareil ! Je te connais par cœur ! Tu vas repousser ton assiette pleine, elle ira cogner le reste sur la table.  Et puis tu vas te lever, prendre une cigarette et ce sera ton repas ! Je te connais, tu sais, depuis le temps !
Ce qu’elle est énervante avec ses « Je te connais, tu sais, » à tout bout de champ. Pas une phrase, sans qu’elle place sa formule qui ne veut rien dire du tout. Est-ce qu’on connaît les autres ? Sûrement pas, et elle le sait Dolly, elle est même bien placée pour le savoir, avec ce que le petit leur a fait !
Dolly  tape à plusieurs reprises avec son torchon sur le rebord de la fenêtre.
─ Alors ?
─ Alors quoi ?... Oh ! Dolly, Fous-moi donc un peu la paix !
Franchement elle l’exaspère. Elle ne va pas le laisser tranquille à la fin ? Sûrement pas, dit en lui la petite voix de l’habitude ! C’est pas facile de la faire taire Dolly. Il sait juste, qu’en l’envoyant promener, il gagne quelques secondes, autant dire un tout petit entracte. Il aurait tant besoin de silence ce soir. Il voudrait être seul, quelques heures, ne pas quitter des yeux cette masse sombre de la forêt de Nilland qui s’enfonce dans la nuit tout là-bas. Mais Dolly va revenir à la charge avec son ragoût, c’est sûr et il le sait. Manger ? Ça ne lui dit franchement plus rien. Le corps, c’est même le cadet de ses soucis. C’est comme les bagnoles qui devraient passer sur cette route : de la mécanique… et bientôt de la casse.
Cette fois, il ne l’a pas entendue venir. Sa voix le fait sursauter.
─ Ça ne sert à rien que tu te ronges, dit Dolly. Ça ne fera pas venir les clients. Pas ce soir en tout cas. Avec le vent qui se lève, tu penses bien que les gens vont rester chez eux, même si Kirt ne ferme pas le bar avant l’aube, sous prétexte que c’est samedi.
Il bougonne sans conviction :
─ Il aura toujours plus de clients que nous !
─ Oui. Mais je t’avais prévenu, Bill. Cette station, elle ne valait pas un clou, elle était déjà à moitié déserte quand on est venus la voir. Ce gros plein de soupe qui nous faisait l’article. Il voulait s'en débarrasser. Tu parles ! Avec une poignée de dollars, on ne pouvait  pas s’attendre à mieux ! Et toi, tu y croyais, surtout à cause du matériel dans l’atelier. Tu t’imaginais que les affaires allaient marcher comme avant, comme quand on avait le garage. Pour ce qu’il sert tout ce matériel depuis que tu es là ! Tu ne m’as pas écoutée. Comme d’habitude du reste !
Il serre les accoudoirs, à en faire craquer le bois. La patience de tout à l’heure, il ne lui en reste pas beaucoup ! Décidément, ce soir, elle est remontée Dolly. Il voudrait ne pas lui répondre, mais c’est plus fort que lui. Il ne peut pas tout le temps laisser filer ce qu’elle dit et tous ces rappels de la réalité dont elle est capable quand ça l’arrange. On dirait qu’elle prend un malin plaisir à le faire souffrir. C’est pas qu’elle soit mauvaise, Dolly, mais elle est pugnace, elle  revient et elle y revient… Pas un soir où elle ne lui ressert pas la même rengaine !
Il tourne à moitié la tête. Juste assez pour s’assurer qu’elle l’entend:
─ Et on aurait fait comment, quand il a fallu partir en catastrophe de Chicago ? Avec le peu de fric qu’on avait ? Dis voir, un peu ? On aurait pris quoi avec la monnaie de singe qui nous est restée après ?
Le poing de Dolly, contre le chambranle, agit sur lui comme un encouragement. Et puis maintenant qu’il est lancé, il le sent, il ne va pas pouvoir s’arrêter.
─ Tu rêves, ma pauvre femme ! Tu as toujours rêvé ! Ah, ça depuis trente-cinq ans, tu en moulines des rêves, et quand je dis des rêves, c’est peu dire ! Des chimères, oui ! La vérité, c’est que t’as toujours eu la folie des grandeurs. Des châteaux en Espagne, tu vois ? Je me souviens, quand on s’est rencontrés, moi je faisais des efforts pour te cacher mes ongles peints au cambouis. J'étais pas un homme pour toi. Tu m’as pris les mains et tu as dit : « Mais c’est de l’or, Monsieur, ces mains-là, vous allez voir ce que vous allez voir, elles seront les orfèvres du capot de ces dames ! » A l’époque, je ne sais pas de quoi tu rêvais, peut-être d’être la patronne du complexe à la Bretelle 12 de l’autoroute. C’est ça, hein ?
─ T’es injuste, Bill, injuste. T’es mal… et tu peux même pas te remettre en question... Moi, je sais bien ce qui s’est passé…
Il fixe à présent l’asphalte brillante sous le soleil couchant et entend Dolly qui se mouche de plus en plus fort. Entre les mots. Après la colère, les pleurs. Classique avec Dolly. C’est toujours comme ça. D’abord elle se fâche et après elle se sert des mouchoirs, pour le désarmer.
A quoi bon lui tendre une perche pour qu’elle poursuive. Ça fait longtemps qu’il sait qu’elle a raison. Elle lui déjà seriné,  cent cinquante mille fois, pourquoi ils en sont là, à cause de son manque d’ambition. C’est stérile d’y revenir à tout bout de champ, c’est tout. Ce qu’il sait, lui, c’est que la pompe est pleine et le tiroir-caisse vide. Et que le macadam de cette route, on ne peut pas dire que les voitures s’y bousculent ! C’est la faute à pas de chance ! Parce qu’il s’en souvient, il y a dix ans en arrière, c’était pas comme ça quand la voie rapide pour San Diégo n’était pas construite. Il y avait un peu de trafic et du travail à la pompe, et même à l’atelier il avait de quoi s’occuper avec les tracteurs des fermiers. Surtout au moment des moissons, quand ils tombaient en panne en pleine nuit, à force d’avoir tourné.  
Dolly fait mine de tousser. On dirait qu’elle s’est calmée et qu’elle a suivi le cours de ses pensées :
─ C’est pas de ta faute mon homme. Tu ne pouvais pas savoir qu’on nous ferait ce sale coup. On s’est même bien gardé de nous le dire ! Mais moi, je ne sais pas pourquoi, au départ, j’avais un mauvais pressentiment. Un truc, tu sais en dedans, qui dit «  Non, Non ! », alors que les autres attendent qu’on dise «  Oui ! je suis partant! » J’ai bien essayé, mais tu ne m’as pas écoutée. T’étais emballé par les quatre voies. T’imaginais un vrai ballet de pare- brise devant  ta pompe !…
─ Tais-toi, Dolly, tais-toi ! J’ai pas envie de remuer tout ça, tu peux comprendre ou pas ? J’ai juste envie d’écouter le vent qui arrive de Mildraim, et de regarder ce peu de clarté qui traîne dans le ciel.
La voix de Dolly s’est radoucie :
─ Je peux comprendre. Je me demande même si j’ai fait autre chose que cela depuis toujours : comprendre. Essayer de comprendre... tes réactions imprévisibles avec le petit. Tes coups de gueule, souvent pour rien ! Et pire, ce que tu lui lançais dans les derniers temps au garage, chaque fois que ça ne te plaisait pas qu’il prenne des initiatives. A la fin, de se faire taper dessus…
 -- Je ne l’ai jamais touché ! Tu racontes des histoires, Dolly ! Pas une fois, j'ai levé la main sur lui !
 ─ Non, d'accord ! Mais taper dessus avec des mots, c’est pareil, ça fait des bleus et des bosses en-dedans.
Il ne l’entend plus. Il a des fourmis sur sa botte droite, et les fait valser en donnant un coup de pied contre le barreau de la chaise.
─ Je vais fermer la grille derrière.
Maintenant en marchant, il est seul. Seul avec le souvenir du petit mot laissé sur le bureau dans le garage. C’est lui qui l’a trouvé en descendant le lendemain matin, près de la boîte en fer où il avait mis l'argent, après la bonne occase de la Chevrolet vendue à Pépito : « Pardon, Je vous rendrai l’argent. C’est juste un emprunt. Promis. Je pars avec des potes. Je vous aime. »
 Mais Bill s’en fout de ce « Je vous aime. ». Enfin, non, il ne s’en fout pas, mais ça, il ne peut pas le dire à Dolly. Ni qu’un jour, il en est sûr, il va le revoir arriver son gamin, dans une Cadillac ou une grosse Ford Mustang. Ou en stop. Bon Dieu! Même à pied sur cette route ! Pourvu qu’il revienne.
Le creux, là, dans le bas de la poitrine, c’est la faim ou l’absence ?

jeudi 4 octobre 2012

Café Littéraire "Dans l'intimité des écrivains"

Pour ceux d'entre vous qui m'ont fait le plaisir d'assister le 29 septembre, à la Médiathèque de Draguignan, au Café Littéraire "Dans l'intimité des écrivains", voici comme promis, les noms des auteurs choisis et les titres des ouvrages dans lesquels j'ai puisé :
- Jean-Jacques Salgon : 07 et autres récits.
- Jean-Baptiste Pontalis : Le dormeur éveillé.
- Pat Conroy : Le Prince des marées.
- Nancy Huston : Lignes de faille.
- Annie Ernaux : Une femme. 
- Sophie Calle : Histoires vraies.
- Albert Cohen : Le livre de ma mère.
- François Cavanna : Les Ritals.
- Oriana Fallaci : Lettre à un enfant jamais né.
- Nathalie Sarraute : Enfance.
- Albert Camus : Le premier homme.
Bonnes lectures ! Et à bientôt de nous retrouver pour la suite...