Bienvenue

Bienvenue

Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

mercredi 16 janvier 2013

Le monde des origines

Je suis née à Saint-Ouen, aux portes de Paris, à deux pas du plus grand marché d'antiquités du monde : le Marché aux Puces.
Au moment de ma naissance, avant la guerre de 39/45, la ville de Saint-Ouen est fortement industrialisée. C'est une cité ouvrière peuplée de travailleurs modestes. Mes parents s'y installent en louant un minuscule studio au confort sommaire. Quand ils se mettent à la fenêtre, ils contemplent le paysage serein du cimetière.
Mon père, tapissier, continue de travailler à Paris, dans le Faubourg Saint-Antoine. Ma mère, dont le métier de la chaussure de luxe connaît une crise grave, se fait embaucher à l'usine Lesieur. Les conditions de travail et de luttes ouvrières y sont difficiles.
Dès la mobilisation militaire de mon père, et pendant sa très longue absence, ma mère et moi retrouvons à Montmartre le reste de notre famille. 
C'est sur la butte que j'ai passé mon enfance et ma jeunesse. Les années de guerre sont celles du sirop de la rue, des jeux intrépides avec les garnements du quartier. 
Mon premier traumatisme est celui de la rafle des juifs le 16 juillet 1942. Mes meilleurs petits camarades, Simon et Raoul, poussés par les agents zélés de la police de Vichy, montent dans les autobus de la mort. Ils ne reviendront jamais.
Le deuxième traumatisme provient d'une vision insoutenable : celle de la crèche israélite du Sacré-Cœur, sur la butte Montmartre, dévastée par les bombardements. De nouveau, des enfants de mon âge ou à peine plus jeunes, étaient morts. 
Quand j'entre au lycée, avec une bourse allouée à mes parents pour cause de revenus modestes, l'ascenseur social se met à fonctionner. Mes parents étaient des ouvriers dont les années de scolarité se comptaient à peine sur les doigts d'une main. Mes grands-pères savaient lire et écrire, guère plus. Quant à mes grands-mères, elles étaient analphabètes.
Mes parents ont pour leurs enfants des ambitions de réussite. L'idéal communiste qu'ils partagent avec des milliers d'autres militants n'est pas étranger à ces aspirations ambitieuses.
A quatorze ans, je décide de devenir médecin du cœur pour les enfants en souffrance. Il faudra plusieurs décennies de détours professionnels avant que cette détermination juvénile se transforme en réalité.
Je suis des études satisfaisantes dans un lycée bourgeois du 9ème arrondissement, où j'occupe une place marginale. Je suis une fille d'ouvriers. Mes camarades de classe sont issues de familles aisées de fourreurs, de bijoutiers, de commerçants prospères. Je ne suis pas de leur monde et elles ne se privent pas de me le faire sentir. Pour me démarquer, il me faut être une bonne élève et une battante politique. Mon agitation contestataire durant les cours de philo d'une prof réactionnaire et la distribution de tracts à la porte du lycée me vaudront le Conseil de discipline à trois reprises, un barrage injuste de la direction du lycée à  mon entrée à l'Ecole Normale des Batignolles et le refus du professeur de philo de me présenter au Concours Général. 
Pour faire plaisir à ma mère, j'accepte un poste d'institutrice à Saint-Denis. La pédagogie devient, avec la psychologie, une passion et un de mes  chevaux de bataille. Grâce aux méthodes actives, les enfants des classes populaires seront tirés vers le haut, vers la réussite ! Le quotidien dans ma classe s'apparente à du militantisme pédagogique. 
Tout naturellement, je passe le concours d'Inspectrice de l'Education Nationale et poursuis mes chères études de psycho et de psychanalyse. A l'époque, je n'ai pas renoncé à devenir médecin du cœur des enfants. Pendant trente ans, je vais me donner les moyens de conjuguer métier au service des enfants et études universitaires. J'enchaîne deux doctorats, de psychologie clinique et de sciences de l'éducation, et jongle avec deux métiers, avant de pouvoir me consacrer à la retraite à ce qu'il faut bien appeler la vocation de mes quatorze ans.
Aujourd'hui, je trace sur la page virtuelle de l'ordinateur les matériaux de l'écriture. Ceux de la fiction et de la réalité mémorielle. Les mots se bousculent, les souvenirs estompés ou vivaces aussi. Je façonne un petit bagage. J'ignore ce qu'il en adviendra plus tard, à l'épreuve du temps. Mais  qu'importe. Au présent, écrire accompagne les bonheurs que me procurent ceux que j'aime et maintient un sens fort à ma vie.     

vendredi 11 janvier 2013

Les trois vies du personnage de roman

Dans "Ma vie sans moi", le personnage de Lorenzo mène trois vies : la vie sociale, la vie intime, la vie intérieure. La première, au grand jour, est celle d'un Lorenzo marié, père de deux enfants, technicien de la Radiodiffusion française, militant actif du PCF. La vie sociale est publique, connue, appréhendée par tous ceux qui le côtoient.
Sa vie intime s'est organisée autour de sa liaison avec Solange. C'est son jardin secret, sa part d'ombre qu'il ne partage avec personne d'autre qu'avec cette jeune femme dont il est éperdument amoureux. Une vie parallèle qui nécessite des aménagements de la vie sociale et beaucoup de  précautions. Et dont on peut dire qu'elle intensifie la vie intérieure.
Cette vie intérieure est celle de la pensée, des rêves et des émotions où Lorenzo se sent ou se veut seul. Une niche de repli, le plus souvent peuplée de solitude, de divagations, de tourments. Celle qui accompagne tous les instants de la vie. Celle aussi qui nous rapproche de la mort.
Dans l'écriture du personnage, les trois vies s'entremêlent, comme elles le font souvent dans l'existence de chacun de nous. Quand Lorenzo, (page 267 de "Ma vie sans moi"), en proie au désarroi après la découverte de son infidélité par sa femme Claudia, se rend chez le camarade Fiszbin, il cherche à tirer au clair les motifs qui ont poussé le Parti à exclure un bon camarade. Il ne prémédite pas de lui faire des confidences. Il ne lui en fait d'ailleurs pas. Mais quand Fiszbin lui déclare ses penchants amoureux, la réaction sincère et spontanée de Lorenzo est celle d'un homme qui défend la vie intime de l'autre comme il revendique la sienne. 
D'une manière plus générale, je dirai qu'il est nécessaire d'avoir en permanence trois fers au feu dans l'écriture qui campe un personnage et soutient sa crédibilité. Surtout quand le narrateur est le personnage principal du roman. J'admire le brio du grand écrivain Isaac Bashevis Singer dans le roman "Ennemies". Toute la force des trois vies de son héros Herman, entrecroisées à chaque page, est un modèle du genre. N'est pas Prix Nobel de Littérature qui veut!!!