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Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

vendredi 19 avril 2013

La vie, c'est... (2)



A la Foire du Trône de la vie, on naît dans une barbe à papa rose ou bleue. On nous fait croire que l’enfance c’est de la guimauve et des caramels mous, que le reste sera fait de sucettes à l’anis, de mistral gagnant et de pommes d’amour.
Le train fantôme de l’adolescence ressemble à une maison hantée. On se fait peur tout seul avec les apparitions qui font souffler le chaud et le froid, nous frôlent dans la pénombre, nous attirent vers les contours flous, nous caressent ou nous tirent les cheveux. C’est selon.
On se grise dans les autos tamponneuses de la première amourette. On s’extirpe de la machine avec des bleus aux genoux et pour longtemps le cœur en gardera des souvenirs nostalgiques. Quand on monte dans les tasses, coincé entre la paroi de l’engin et le corps de l’autre qui a bien voulu nous accompagner, le cœur cogne et s’emballe. On n’est pas sûr de pouvoir redescendre sur terre.
Au chamboule tout, on se croit plus fort que les autres. A coups de balles de chiffons stériles, on vise la face en carton bouilli de nos rivaux, les boîtes de conserve de la déconvenue et les premiers chagrins d’amour qui font souffrir.
On teste la puissance de nos biceps et de notre cerveau sur la locomotive du lutteur de foire qui nous attend au tournant et qui n’en finit pas de rire, en se tapant sur les cuisses, après la déconfiture de notre musculature d’anémié. L’aiguille du cadran n’a pratiquement pas bougé.
Alors, on passe son chemin et on enfourche des chevaux de bois sur le manège du mariage, pas si inoffensif que ça. Il arrive ce qui doit arriver : on s’est laissé séduire par la femme-serpent. Trop tard !
En chemin, on croise le cracheur de feu. Il nous fascine et nous attire. De spectateur, on est devenu proie sans défense. Quand on a compris ce qu’il nous a projeté à la face, on ne compte plus les brûlures.
On serre la main des nains méchants déguisés en puissants qui ont fait carrière, il arrive même qu’on s’agenouille devant l’homme-tronc qui nous promet monts et merveilles.
A force de monter et de remonter sur le train-chenille, on finit par avoir le cœur au raz des lèvres. Le tournis de la fête foraine a eu raison de nous. Nauséeux, il ne nous reste plus qu’à nous asseoir sur le trottoir, en attendant le bus qui ne mène nulle part, sauf au terminus.

mercredi 17 avril 2013

La vie, c’est…



La vie est un match de boxe. On monte sur le ring malgré nous. On n’avait pourtant rien demandé. Pour nous pousser au combat, nos managers prétendent qu’on sera champion du monde toutes catégories, peut-être poids plume ou poids lourds, c’est égal, la victoire est à une portée de pas.
         Le combat, les adversaires, les estrades, les podiums, les arbitres : on les découvre à chaque rencontre. Ils changent souvent.
         On nous talque les mains, on les enveloppe dans des bandelettes serrées, soi-disant pour les protéger des mauvais coups. "Avec ces gros gants de cuir, tu verras petit, tu ne seras pas le dernier à cogner ! ". On y croit. Préventivement on montre les poings.
         On prend des coups, on en rend. On en reprend. C’est encore un jeu. Quand ils pleuvent, on grimace. "Même pas mal ! " Comme quand on était gosse. Vlan! Dans la mâchoire ! Vlan ! On ne s’y attendait pas. On a beau avoir la bouche tuméfiée, on n’a pas dit le dernier mot ! Et puis on met des protège-dents, on ne sait jamais, si ça recommence… Et ça recommence. Vlan ! On se croit malin dans l’art de l’esquive, dans les jeux de jambes de danseuse. On sautille, on se croit plus léger que l’autre en face, ce sournois qui cherche à nous atteindre, là où la peau et les organes sont les plus faibles. On cherche le sien de point faible, histoire de lui mettre la raclée, parce que ça suffit maintenant, on veut bien être gentil, rigoler un peu, faudrait pas dépasser les limites tout de même ! L’autre ne comprend rien, il est coriace, le bougre, pour qui se prend-il ? Voilà maintenant qu’il swingue et swingue autour de nous, histoire de nous étourdir, de nous faire perdre le contrôle. On se reprend, on lui montre la garde, on lui file un uppercut. Il a de la chance : le gong a sonné. Le soigneur est content. On a droit à l’aspersion, au massage, aux encouragements.
         Quand le match reprend, on est confiant. L’arbitre est de notre côté : ces choses-là se sentent ! On a même le public avec soi, qui braille : " Vas-y, petit, mets-lui la pâtée, qu’on en finisse avec ce chacal !" Il gueule le public, qu’on est le meilleur, le plus grand de tous les temps… Il nous jette des œillets rouges. Qui tombent en pluie à nos pieds. L’autre profite d’une seconde d’orgueil de coq, avec son crochet du gauche. Vlan ! Le salaud ! On est sonné, on voit des étoiles noires sur fond de rétine, pendant que le nez pisse le sang. Pour la première fois. Mais pas la dernière. Vaciller d’accord, chavirer peut-être, un genou à terre, passe encore, mais surtout ne pas tomber au sol. Ils l’ont dit les managers : " Tu ne pourras pas te relever."
C’est arrivé quand ? On ne sait plus. On n’y est pour rien.  A cause d’un mauvais coup encore une fois ?  L’arbitre, cet enfoiré, a retourné sa veste. Il compte : "1..2..3..4..5." On se remet debout, ça tourne, et les autres là-bas qui hurlent : " Mauviette, sac d’os, au vestiaire ! " Ils nous jettent leurs billets d’entrée, les journaux sportifs, les paquets vides de Smarties.
L’autre, là, il est aux anges. On s’approche de lui, pas pour faire la paix, non, pour éviter son direct du gauche, pour s’accrocher à lui,  reprendre son souffle. Il s’en fout, l’autre, d’être enlacé. Il cogne encore, dans les côtes, au foie, surtout au foie.  Dans ce corps à corps, personne ne sait plus à qui appartient la sueur méphitique. Pas d’importance. Il cogne. Ce qu’il veut, il l’obtient : on s’effondre dans les cordes. Le public hystérique a choisi son vainqueur, tandis que l’arbitre compte : "8..9..10 !" Au sol, la face défigurée contre le tapis, on entend la cloche et l’arbitre de chaise, au micro là-bas, qui proclame la victoire par KO de….  : "Nouveau tenant du titre : … " Le manager, fou de rage, jette l’éponge et vocifère.
Quelle importance, ce qu’il raconte, ça fait déjà un bon moment que l’hémorragie interne a eu raison de la vie.

jeudi 4 avril 2013

Fin de semaine



C’est râpé pour la soutenance de ce matin ! Je le sens. Je ne l’aurai pas…je ne l’aurai pas… J’ai vu venir tout de suite le fiasco, dès que je suis arrivée à la gare de Bruxelles ! Je ne sais pas, moi, un pressentiment. La pluie ne me réussit pas. J’ai obtenu les deux premières épreuves. Il me reste celle de ce matin et la supervision de lundi encore à passer. Mais je n’y crois pas beaucoup. En plus, je ne sais même pas avec quel jury… Et toi qui n’es pas là pour me soutenir, me prendre dans tes bras… Je sais bien ce que tu me dirais : Mais si, ma petite chérie, tu l’auras ta certification, tu es toujours anxieuse avant, tu te fais toujours de la bile et au final tu t’en sors, la tête haute, avec les honneurs. Pourquoi est-ce que tu es loin ? J’ai besoin de toi, moi, là, tout de suite… Quel jour on est ? Ah ! oui, vendredi... Et si tu venais à Bruxelles me rejoindre pour le week-end ?… On le passerait ensemble, ce serait moins dur d’attendre ce foutu verdict jusqu’à lundi soir. Sûr ! Ça me remonterait les zygomatiques !... Oui, c’est ça, viens, toi... C’est une bonne idée. Bon… Un téléphone ! Quelle heure est-il ?… Onze heures... Dans le hall, tout à l’heure, j’ai repéré la réception… Mademoiselle, s’il vous plaît, je voudrais Paris… Comment dites-vous ? Quatrième cabine à droite derrière moi ? Merci bien, mademoiselle … Berk ! Cette odeur de vieux tabac, j’ai envie de vomir. Ils pourraient aérer de temps en temps ! C’est un minimum, dans un hôtel trois étoiles, non ?
Allo ? Allo ?… La barbe, c’est occupé ! Quelle heure est-il ?…  Onze heures. Ah !  oui, c’est l’heure des fournisseurs. Mais je m’en moque de tes fournisseurs ! Allo ? Allo ? Bon sang, raccroche… allez… S’il te plaît… Réponds-moi. Fais un effort… Envoie-les tous balader. C’est quand même plus important de parler avec ta petite femme. Abrège… Allo ? Allo ? Je t’en prie... Bon !... Toi aussi tu t’en mêles ! Tu t’en fiches de mon angoisse ! Tu n’es pas aidant par moment, tu sais ! Bon ! … Je vais  brancher mon Adulte  comme dit l’autre, le chauve d’hier, pendant la seconde épreuve… Je vais te rappeler à onze heures et demie…
Qu’est- ce que je vais faire en attendant ?… Relire ce foutu pavé ?… Je n’ai pas le choix !... Zut, je n’avais pas vu cette faute d’orthographe !… Trop tard pour la corriger sur les copies qu’ils ont entre les mains… Pourvu qu’ils ne la voient pas !… Mais, il est très bien ce passage sur la forclusion du père’! Je m’en suis donné un mal de chien pour ce mémoire de psychanalyse ! Elise m’avait prévenue : La soutenance, c’est la partie la plus difficile de la certification. Dans le jury, t’as ceux qui défendent la chapelle des profondeurs de l’âme, ceux-là ils ont des œillères de cheval et les oreilles bouchées des ânes de Malte… Ils campent devant un sanctuaire et refusent le débat. Des vrais chiens de garde ! Ce n’est même pas la peine de leur parler d’autre chose que le divan ! Et les autres, qui dorment à moitié, pendant que tu t’échines à défendre ton point de vue, ils pensent à leur estomac qui gargouille de fringale, au teinturier à qui ils ont donné leur costume à nettoyer, à leur adolescent qui est encore collé samedi au collège… Je n’ai pas de conseil à te donner, mai si je peux me permettre,  coule-toi dans le moule… Ne joue pas les kamikazes, je te connais… pour une fois, fais profil bas, ne commence pas à t’énerver sur les sophismes, les interprétations imprudentes, l’écoute flottante des psychanalystes qui n’est rien d’autre qu’une oreille distraite… Tu le veux ou non ton bout de papier ? C’est ça qui compte !…
 D’accord, d’accord, je veux bien me suradapter aux deux jurys qui me restent, mais j’ai quand même trouvé un sujet exceptionnel : « Freud : le maître nous a-t-il Berné ? » Ce n’est pas sensationnel ce parallèle explosif entre Freud le père et Berne le fils dissident ? Et « Berné », il fallait oser quand même ?


Râpé ! Raté… Je vous le disais ! J’ai bien vu, cet air qu’elle avait, oui, l’examinatrice à gauche du président ! La femme de Salomon Boutard. Elle m’a reconnue. Elle a pris la reliure entre ses deux doigts, dédaigneuse comme si on lui avait donné à manger la queue d’une souris. Vous l’avez vue comme moi, non ? J’ai immédiatement compris… Elle n’avait même pas lu le mémoire. Ça se voyait, cette bourrique ! Elle suintait le mépris et le refus en prime. Enfin, peut-être que les autres… Ce n’est pas sûr ! On le saura lundi soir. Pourquoi est-ce que je tombe toujours sur des examinateurs peaux de vache ? Elle a juste jeté un œil sur le titre du mémoire. Pas plus!… Et cette moue de la bouche, vous avez remarqué ? … un vrai accent circonflexe… Ce qu’elle est moche tout de même ! Qu’est-ce qu’il lui trouve Salomon ? Elle n’est même pas intelligente. La seule chose qu’elle a su me dire : Et l’aspect clinique dans tout ça, qu’est-ce que vous en faites, ma chère ? Ma chère ? Où est-ce qu’elle a vu ça ? Elle s’imagine que j’ai gardé les dindons avec elle peut-être ! Autrefois, il avait meilleur goût, Salomon !  Une dans chaque congrès, comme les marins dans les ports… Sauf que celle-là, elle lui a mis le grappin dessus et ne l’a plus lâché. Je me souviens de l’examen blanc préparatoire chez eux à Mons. Ce mauvais goût de parvenus ! C’était sa patte à elle ! Déjà là, j’ai vu qu’elle ne pouvait pas me piffer, avec ses grands airs de formatrice-diva. Je l’ai tout de suite jugée. Elle s’en est vite rendu compte. Elle m’a foudroyée du regard quand j’ai affirmé que Freud avait menti en s’attribuant les découvertes sur l’inconscient. Messmer, Charcot, Janet, des inconnus pour elle. Elle n’avait que le mot introspection à la bouche !… Aujourd’hui, c’était sa revanche à la mangeuse de souris. Elle m’attendait au tournant, c’est évident ! Quelle note, elle a proposé aux autres ?…  Je n’aurai pas de marge de sécurité lundi pour l’oral de supervision… Déjà que c’est ma partie faible !… Arrête de te dévaloriser ! N’en rajoute pas !… C’est facile à dire, mais je n’y arrive pas. Je me sens seule. J’ai froid.
Bon, quelle heure il est ? Vingt-cinq, allez, j’y retourne. Allo ? Allo ?… Non, ce n’est pas vrai !! Tu le fais exprès… Faut quand même pas deux heures pour passer tes commandes ! Si ça se trouve, t’as mal raccroché ou tu passes un fax… Cette manie que tu as d’envoyer des fax… Tu fais joujou ou quoi ? T’es un vrai gosse des fois !
Qu’est-ce que je vais faire maintenant… dans cette ville de m…, cet hôtel de m…, avec ce groupe de m… ? Les deux tiers de mes collègues qui se donnent des airs, en parlant english avec les psys américains, et les autres qui baragouinent londonien, pour se la jouer internationale ! Ça fait bien dans les congrès ! Tout ça, c’est de la faute à Berne ! …Oh ! J’en ai plus que marre ! Je ne veux plus les voir… Qu’est ce que je fais là, jusqu’à lundi soir ? J’étouffe !
Alors là, ma petite (vous l’avez deviné j’espère, c’est la petite voix intérieure), tu as trois options. Un : tu te morfonds dans ta chambre d’hôtel, avec une couette supplémentaire, les chaînes de cinéma en flamand sous-titrées en français et un tube de Lexomil. Oui ?… pas terrible, comme perspective ! Sinon, quoi d’autre ? Deux : tu sautes dans un taxi, tu te fais le Bruxelles des touristes, j’te fais pas un dessin, tu sais où est la réception et les dépliants de la ville. Prends un parapluie, une tonne de chocolats Léonidas en prime !... Oui ! bien sûr ! Et mon foie, lundi ? Tu y penses ? Il ne me manquerait plus que ça, une bonne crise de foie des familles pour la supervision ! Je les entends déjà, ceux du jury : Vous n’auriez pas une fâcheuse propension à la somatisation ?... Non, merci bien ! Et en trois, qu’est ce que tu proposes ? Trois : tu files à la gare du Midi et le premier train direct pour Paris… en voiture Simone !…Histoire de changer d’air… Ça, c’est la meilleure idée depuis ce matin. Je le rappelle au téléphone ? Non ! Pas la peine, fais-lui la surprise… Il va être heureux comme un pape de te voir !
Zut, il pleut des cordes… J’ai laissé mon pépin à l’hôtel… Tu parles d’un plat pays !… T’as eu raison Brel, de te faire la belle aux Marquises !… J’aurais dû changer de chaussures. Avec toute cette pluie qui dégringole et la boue en plus, je vais pouvoir leur dire adieu, en rentrant… Des godasses super-chic, pour l’examen !… C’est nul ce vieux truc que j’ai de toujours vouloir soigner l’apparence dans ce genre de circonstance. Ça c’est de la faute à grand-mère :  Mange à ton goût, habille-toi au goût des autres !  Du coup, je ne sais pas faire simple ! Je compose ! L’autre, là, avec sa face de lune décomposée, elle s’en foutait de ma tenue ! Elle n’avait même pas lu mon mémoire !
Oh ! la barbe, j’ai filé mon collant !…Ce n’est rien Monsieur, non, non, je vous assure, vous ne l’avez pas fait exprès… Oui, c’est lourd ce bagage !… et encombrant ? Oui bien sûr, c’est à cause de la pluie, vous ne m’avez pas vue !…  Ce taré ! Il ne peut pas voyager comme moi, les mains dans les poches au lieu de se trimbaler avec ses lingots d’or ?
J’aurais dû le rappeler à la gare...Tant pis, c’est trop tard…je l’entends déjà :
- C’est toi ? Mais on n’est que vendredi ? Tu as fini ? Je croyais que tu ne rentrerais que mardi seulement…
- Bah ! oui, mon amour. Tu sais, on a toujours besoin d’être soigné par les siens. Les grands auteurs m’ont lâchée. Papa Sigmund m’a excommuniée, Berne, en qui je croyais pourtant dur comme fer, m’a tourné le dos !…Non je plaisante !…Enfin… Je t’expliquerai plus tard. C’est juste que je m’ennuyais de toi… Serre-moi bien fort.