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Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

vendredi 29 juillet 2016

La photo de septembre 2014

A sa demande, l'informaticien a mis la photo de septembre 2014 en fond d'écran sur le nouveau PC. Elle a voulu qu'en ouvrant l'ordinateur, ce soit cette photo et pas une autre qui apparaisse devant ses yeux le matin et salue tendrement une nouvelle journée sans lui.
C'est un cliché de septembre 2014, pris par les amis new yorkais, de passage dans le Midi. Ces mêmes amis qui, un an plus tard, presque jour pour jour, abandonneront précipitamment leurs activités professionnelles pour les obsèques qui auront lieu au Muy.
Sur la photo de septembre 2014, un homme et une femme sont assis sous le figuier et sourient à l'objectif. Lui, heureux de se retrouver en compagnie de ces amis qu'il a toujours sincèrement aimés. Elle, le sourire crispé de celle qui sait depuis mai combien il faut savourer le temps qui reste.
Depuis mai, il est malade. Ce qu'ils savent tous les deux, ils n'en ont guère parlé ensemble. Comme si parler serait source d'une accélération, voire d'une précipitation du mal. 
Depuis mai, il est malade. Atteint d'une tumeur que le spécialiste a d'abord appelée pudiquement une lésion. Un terme moins dangereux, moins affolant que tumeur, ou cancer, un terme-espoir qui dit qu'on peut guérir à force d'interventions médicales, de chimios, d'opérations... de hasards. Combats à venir entre la maladie et la santé. 
Elle, elle sait, elle croit depuis mai à la fin prochaine, depuis le jour où elle a compté sur ses doigts les six mois fatidiques que les proches ont évoqués ou qu'elle a lus sur Internet comme une condamnation. Bien sûr, elle sait, elle croit qu'à la fin de l''automne, au mieux à Noël, tout sera fini. 
Pour le cliché, le hasard a bien fait les choses : ils portent tous les deux un pantalon de toile claire et un T.shirt vert amande. Lui, sous le vêtement qui flotte, on devine l'amaigrissement du torse. Ce n'est que le commencement. La maladie qui l'emportera en septembre 2015 lui volera plus de vingt-cinq kilos. Mais ça, ils ne le savent pas encore en 2014...
Sur le cliché, les poings de l'homme sont posés sur ses cuisses. Elle, elle a étendu son bras vers lui, et sa main ouverte caresse  un des poings. Un geste spontané qui dit tout : Ne crains rien, je suis là, je te protège du mieux que je peux, nous ne vaincrons sans doute pas, mais nous lutterons ensemble.
La photo est sur le fond d'écran. L'image est dans son cœur. C'est plus qu'une caresse.  

mercredi 13 juillet 2016

Réponse à N... de Bretagne

Cher N...,
En 1940, la débâcle de l'Armée française permet aux Allemands de faire près de deux millions de prisonniers. A pied et en train de marchandises, ces derniers rejoignent l'Allemagne. Durant ce long déplacement, peu d'hommes s'évadent car la propagande allemande est bien faite : ils seront libérés dans peu de temps.Il ne s'agit que d'un regroupement.
En Allemagne, les prisonniers français déchantent et comprennent assez vite les mensonges dont on les a abreuvés. Très vite, dans les stalags, ils sont mis au travail afin de servir l'effort de guerre allemand ou le maintien de l'économie. Mon père est d'abord moyennement bien traité dans une ferme. Il s'évade. Repris, ses conditions de détention changent et c'est un dur travail en usine d'armements qui l'attend. Il s'évade pour la seconde fois et est repris dans une gare allemande d'une façon rocambolesque que même l'imagination d'un écrivain n'aurait pas pu inventer. 
On est en 1942. Il n'est pas le seul à avoir compris qu'il ne faut compter que sur soi-même pour rejoindre la France. De nombreux prisonniers s'évadent aussi ou tentent de le faire, ce qui commence à inquiéter les Allemands : la main-d’œuvre gratuite leur échappe. Ils créent des camps disciplinaires loin de l'Allemagne, des camps de concentration comme celui de Rawa Ruska, en Ukraine, où mon père est envoyé après sa deuxième tentative. Effectivement, on ne s'évade pas de Rawa Ruska. On y travaille et on y meurt.
Mais les événements de la guerre tourne. Les camps éloignés sont progressivement rapatriés en Allemagne. C'est de l'un d'eux, au cours d'une occasion stupéfiante, que mon père s'évade pour la troisième fois et rejoint Paris. La Gestapo ne mettra pas plus d'un mois pour retrouver son domicile parisien.

Un ami écrit

Bonjour Danièle,
J'ai lu les deux livres : "La Singer et le balcon" et "Leur guerre préférée".
J'ai aimé. Surtout la deuxième partie du premier livre.
J'ai même prêté "La Singer" à une dame qui a été propriétaire d'une maison de couture à Paris.
"Leur guerre préférée" : j'ai aimé, c'est mon époque aussi. Mais je suis de l'autre côté : j'ai vu les réfugiés arriver,  et j'ai vécu certains épisodes, en moins fort que toi. 
Tu as du recul et de la maitrise pour raconter ces épisodes auxquels tu étais mêlée. J'y attribue ton expérience professionnelle.
Je suis resté sur ma faim au sujet de ton père : comment a-t-il pu échapper aux milices à la 2ème évasion ? N. de Bretagne.

jeudi 7 juillet 2016

Au-delà de la dune



Ce n’est pas la première fois qu’elle rentre tard et qu’en silence elle jette son sac à main avec violence au creux du canapé.
Ce n’est pas la première fois qu’elle s’approche de lui et effleure distraitement sa joue avant de se diriger vers le clavier.
Les touches noires caressées sont celles qu’elle préfère. Il le sait. Il l’a observée. Debout devant le piano, elle hésite. Qui est-il pour elle ce soir ce grand paquebot sombre qui occupe le milieu du salon ? Son ami ? Son confident ? Le seul avec qui elle puisse parler le langage de l’amour perdu ? Elle s’assoit.
Ce n’est pas la première fois qu’il l’entend jouer la Sonate à Kreutzer et ces notes qui sont, pour lui aussi, le langage de la désespérance. Les notes sont des signes, des mots intelligibles. Il les entend. Il les a déchiffrés depuis longtemps, sans jamais exprimer de ressentiment, sans jamais montrer à quel point il souffre de l’aimer encore si fort.
Quand elle s’est éloignée du piano, après avoir seulement interprété le premier mouvement de la sonate, il a cru un instant qu’elle reviendrait vers lui et que des paroles naîtraient entre eux.
Mais, comme certains soirs de la belle saison, elle a ouvert la porte-fenêtre. La brise marine est froide, humide. Ses pas dans le sable blanc se dirigent vers les sentinelles de la sécurité, les poteaux d’interdiction érigés depuis quelques jours. L’océan est gros de menaces en cette fin novembre. Il regarde, inquiet, sans comprendre. Il pourrait faire un geste, l’empêcher de ramper sous les barbelés, crier qu’au-delà de la dune, il n’existe que le danger. Qu’est-ce qui le retient ? Il ne le saura jamais.
Il l’a vue entrer dans l’eau sans frémir, avancer lentement, défaire les cheveux emprisonnés dans le chignon, il l’a vue s’éloigner. Peu à peu, son corps disparaît. Il sait. Il se dit qu’il a toujours su. Les cheveux dénoués ont épousé les soubresauts des vagues. Un point minuscule à l’horizon. Rien.