Le narrateur, William, est né dans une fratrie de 11 enfants (10 vivants). Sa famille s'est sédimentée autour de la folie maternelle. Folie douce? Non: Folie, tout court, vraie maladie mentale, infiltrée par une folie des grandeurs indestructible. C'est elle qui va entraîner le désastre et le malheur des protagonistes.
Au départ, un homme et une femme sont irrésistiblement attirés l'un vers l'autre par une attraction charnelle que le temps et les épreuves altèreront peu.
Le père possède un nom à particule, un titre, et au-delà de ces données clinquantes (et vides), pas grand-chose d'autre à offrir à sa femme et à sa famille.
La mère ne rêve que d'éclats sociaux : habiter Neuilly, tenir un rang, recevoir telle une bourgeoise, ne pas se commettre avec les bicots et les boniches, ni même avec des gens d'extraction sociale plus modeste, inscrire les enfants dans les institutions religieuses privées de Neuilly, ce qui va de soi, vous l'aurez compris!
Le père n'assume pas, ne rassure pas, sauf sa femme, à coup de mensonges miteux à répétition, de petites combines frauduleuses, d'endettements camouflés, d'expédients en tous genres...
La mère, psychopathe, dans l'exigence permanente d'un statut social de riches, ignore tout, ne veut rien savoir, se voile la face, totalement inconséquente et inconsciente de la ruine qui gangrène la vie familiale. Ce que vivent amèrement les enfants, les vexations, humiliations, hontes, colères, chagrins, lui est inaccessible tant son ego est l'unique centre de son monde.
Le père, faible, bonimenteur par nécessité pécuniaire, dissimulateur par amour pour sa femme (dont par ailleurs il redoute les accès démentiels) ne se donne pas d'autre choix que de poursuivre cette lente et inexorable descente aux enfers.
Et les enfants, dans ce tableau, que deviennent-ils, me demanderez-vous? Et bien, ils s'élèvent comme ils peuvent, les grands s'occupent des petits, certains se structurent chez les Louveteaux ou les Scouts, Nicolas trouve son salut dans la photographie. William, lui, passe alternativement par des états de noyade psychologique à ceux de la survie où la tête se maintient juste au-dessus de la ligne de flottaison de la vie.
L'écriture cathartique, l'écriture salvatrice, donnera enfin du sens à son existence et l'éloignera du chaos familial. La résilience, pour lui, ce sera aussi la rencontre avec les femmes de sa vie et une triple paternité.
J'aime dans ce roman la lucidité de William, qui malgré ses souffrances observe et se donne les moyens de juger cette famille toxique sans l'accabler outre mesure. Juste ce qu'il faut pour que le lecteur s'interroge: Peut-il y avoir, sur terre, en France, dans cette seconde partie du XXe siècle, des parents aussi infantiles, des criminels involontaires, ayant saccagé la vie de leurs enfants au point de leur ôter leur libre arbitre? Je m'explique sur ce point : quand William décidera de publier le témoignage de la vie familiale qu'il a connue dans son enfance, les protagonistes "en cause"feront front uni contre lui, l'accableront de reproches et d'injures, le renieront, et tenteront de lui nuire en cherchant à empêcher la sortie du livre.
Ce qui révèle, une fois de plus, la farouche et haineuse volonté des familles à poison, de rester dans le secret, la dissimulation, le déni. L'enfermement est à vie, nul ne doit s'en échapper.
William l'a fait, envers et contre tous les siens. Merci Lionel Duroy!