Bienvenue

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Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

dimanche 31 janvier 2016

Le petit costume bleu



Elle a obéi. Sous l’imperméable léger, elle ne porte rien. Il l’a exigé. Elle tremble de tout son être et n’a aucun mal à grelotter comme il lui a demandé de le faire. Quinze degrés au-dessous de zéro. Debout, à la proue de la barque, bien au chaud sous des couches de vêtements, il réclame aux deux acteurs plusieurs prises de la même scène. Pas question de descendre à terre pendant les pauses. « Qu’on leur lance des sandwiches ! »
Depuis le début, le tournage est un enfer. Elle ne sait pas comment protéger son corps de la tyrannie qu’il lui inflige. Déjà, dans une précédente scène, celle de l’incendie, il avait hurlé : « Plus près ! Plus près ! » La chaleur du brasier était intense, surtout au moment où la charpente de la maison s’était enflammée. Il hurlait encore. Le visage cramoisi, les cils et les cheveux sur le point d’être brûlés, elle avait reculé et trébuché sur un élément du décor.
Le soir de cette scène, elle avait explosé : « Ce n’est pas à l’actrice que tu t’adresses, mais à la femme que tu veux à ta merci ! J’ai failli mourir dans les flammes ! » Il se moque : « C’est du mauvais théâtre ! »
La nuit, il s’enferme dans son bureau, écrit ses prochains films, écoute sa musique. Dans la chambre éclairée par la lueur intermittente du phare de l’île, elle s’agite, lutte contre le froid,  l’insomnie et les pensées qui l’assaillent. Elle est à bout, au bout de sa rage envers ce vieil égoïste aux cheveux gris. Un homme vaniteux et cruel, rattrapé par ses démons. Elle ne veut plus l’admirer. Elle ne le peut plus. Sa foi en lui l’a quittée. Son cœur n’a plus de ressources pour pardonner la violence, comprendre  le désastre de son enfance, le mauvais père qu’il a eu, un pasteur obsédé par les punitions, le péché et le repentir.
Au fil des mois, l’insécurité s’est emparée de son corps qui n’a pas su se protéger des insultes proférées et des coups : « Je voudrais te tuer ! »
Bien souvent, elle s’est sentie si seule, si menacée dans sa chair, qu’elle a pensé à la fuite… Et puis, pour quelques heures, la tendresse entre eux a pu regagner du terrain sur la colère. À cause de l’amour passé, à cause de l’enfant aussi…
Mais à présent, de toutes ses forces, elle souhaite en finir. Cette boule noire au fond d’elle-même ne cesse de grandir et de l’oppresser. Elle ne supporte plus l’île, les bruits incessants de la mer et ce mur qu’il a fait ériger autour du jardin de la maison pour la couper du monde. Etre la prisonnière d’une jalousie maladive, voilà ce qu’elle est devenue. Au terme d’un des tournages, seule l’habite une pensée obsédante : se sauver, sauver son être, ce qui l’en reste et qui se révolte assez pour que la fin de leur histoire se dessine inexorablement.
Partir, le quitter, s’arracher à lui est une profonde douleur. C’est fini. Elle parle d’un court voyage en Suède, évoque son agent qui l’attend à Stockholm, un contrat à signer, des parents qui ne connaissent pas leur petite-fille. Elle jette quelques vêtements personnels dans une valise, les siens et ceux de l’enfant, en laisse beaucoup dans les penderies… Plus tard, elle dira : « Dans mes valises, je ne suis pas partie avec la beauté de l’île, des arbres et de la mer, mais avec ma solitude et un quelque chose meurtri en moi qui avait changé pour toujours. »


C’était lui, le maître du septième art, qui l’avait appelée et fait venir sur l’île. Intimidée par la réputation du grand créateur qu’elle connaissait peu, elle avait d’abord hésité avant de dire oui.
Dès le début du tournage, elle s’était sentie acceptée grâce à une amie comédienne qui lui donnait la réplique et par cet homme attentionné dont elle admirait la direction d’acteurs. Dans les regards qu’il posait fréquemment sur elle, elle lisait sa propre beauté à l’aube de ses vingt-cinq ans, son teint de pêche qui prenait bien la lumière des projecteurs, son aisance de grande fille toute simple. « Tu as les joues rondes et les yeux de porcelaine des poupées dont toutes les petites filles ont rêvé. » affirme sa partenaire. Elle a du mal à accepter le compliment. Être regardée avec admiration, elle n’en a pas l’habitude. Lui, ce n’est pas seulement de l’admiration qu’elle lit dans ses yeux, ni la satisfaction du réalisateur… Autre chose, tellement inattendu.

C’est un bel été, le plus merveilleux de sa vie, dira-t-elle quand les années seront passées. Entre les prises, ils se promènent au bord de l’eau. Sous leurs pieds nus, le sable se soulève. Il est si fin qu’il semble ne virevolter que pour eux.
Une photographie prise sur la plage. Il est facile d’imaginer... Ils sont assis sur un rocher l’un près de l’autre. Elle, de profil, les yeux baissés. La voix à peine plus élevée que le murmure d’un secret. Un parfum de chèvrefeuille émane de sa longue chevelure blonde retenue par un bandeau. Elle semble avoir seize ans.
Elle lui confie l’intime. Il la regarde intensément. Ils parlent d’eux-mêmes, du soleil, de la chaleur, du bonheur d’être là. Ils n’évoquent pas le désir. Il est en eux.
Un élan irrésistible la trouble. Jamais personne ne l’a regardée ainsi, ni reconnue. Se sentir digne de son attirance…
Il prie pour qu’elle soit à lui, qu’elle l’envoûte et l’entraîne dans son monde de tendresse et de féminité.
Il lui écrit des petits mots qu’elle trouve au réveil près de son oreiller : « Tu es partout, dans la lumière du jour, derrière la vitre éclairée, sur la porte de la salle de bains, dans le lit défait… »
Le bonheur absolu qui envahit son corps est trop fort pour elle. Trop fort aussi, ce lien inattendu, fait de protection paternelle. Elle pense à fuir… Mais il est trop tard pour résister…
Le bonheur de vivre ensemble, ils l’écrivent sur leur journal intime, un grand tableau blanc qui recouvre un mur de la maison. À l’aide de petits signes, de cœurs, de masques enlacés, ils composent une partition amoureuse, rébus indéchiffrable pour des yeux étrangers. Ils ont convenu aussi d’une boîte aux lettres pour amoureux. Un nounours accroché près du journal intime. Dans son petit costume bleu, chacun glisse de tendres billets : les rêves de la nuit après l’amour.
Comme deux enfants, ils courent enfouir de modestes pièces d’argent sous les rochers de la plage. Pour les mauvais jours, plaisantent-ils... Quand ils seront devenus pauvres et vieux.
Le soir, ils s’adonnent au spiritisme. Tandis que la table pivote devant eux, une voix menace : « Attention à toi ! Attention à vous ! » Ils n’en ont cure et rient aux éclats.
Pour lui, le bonheur, c’est aussi la nature et l’harmonie de l’île. Il a acheté cette terre avec laquelle il se sent en totale communion. Pour lui, pour eux deux, il fait bâtir leur maison, celle où à présent ils attendent la naissance de l’enfant…
Elle ne veut plus partir. Le bonheur de chaque jour est intense. Ils vont construire un monde bien à eux.
Tandis qu’il tourne un nouveau film quelque part sur l’île, elle se promène seule sur la plage, comblée par une vie minuscule qui monte en elle. À chaque galet qu’elle lance dans la mer, c’est à lui qu’elle parle. Elle chuchote que c’est bientôt l’automne, que les oiseaux se regroupent en petites colonies frénétiques, impatients de rejoindre le sud.
C’est maintenant à la petite qui est venue au monde qu’elle s’adresse en la caressant. Elle en est certaine : chaque geste les enveloppe, chaque rapprochement unit leurs deux corps, soude leur intimité peau à peau, amplifie leur bien-être et la sécurité partagée.
Il est parfois présent. Près d’elles mais pas avec elles. Il a beaucoup à faire par ailleurs. Elle se sent délaissée durant ses absences prolongées. Surtout quand il part pour de longues journées solitaires sur son vélo. Elle l’attend. Au fil des heures, les battements de son cœur s’accélèrent. Dehors, un silence inquiétant cerne la maison. La nuit est déjà tombée quand il rentre. Elle dit qu’elle a tremblé de ne pas le revoir, que leur petite fille l’a réclamé et qu’elle n’a pas réussi à calmer ses angoisses. Il rétorque : « Tes angoisses ! Les tiennes !» et quitte la pièce. De nouveau seule, elle ressent peu à peu qu’elle a vécu dans une illusion, qu’elle a fait partie d’un rêve qui n’était pas le sien, mais celui d’un autre. Le rêve d’une île, d’un havre, d’une communion avec la nature dans laquelle, sans doute, il trouve l’inspiration.
Un jour, entre eux, une de ces disputes incessantes qui tourne mal. Il la saisit par les épaules, la secoue, lève la main. « Je ne veux pas te faire de mal ! » Que peuvent ces pauvres mots alors qu’il n’y a que de la haine dans ses yeux ? Elle est terrifiée, peine à se dégager, parvient jusqu’au seuil de la porte, s’enfuit dans le jardin à perdre haleine. Il court après elle. Prise de panique, elle s’engouffre dans la maison, réussit à s’enfermer dans la salle de bains. Il fracasse la porte. Sa chaussure vole et chute sur le carrelage. La tension tombe, ils rient. À ses pieds, il demande pardon : « N’aie pas peur. Je t’aime. Je ne te ferai aucun mal… Les démons sont partis. » Elle tente de le relever, de passer ses bras sous les siens : « Mets-toi debout ! » Il reste à terre : « Ils me jetaient dans un placard, fermaient la porte à clef. J’avais peur, je cognais. Ils me disaient qu’il y avait aussi une autre personne dans le noir. »… Personne, Persona
Elle le sait, ils sont douloureusement liés l’un à l’autre. Mais elle ne veut plus de cette vie qui l’étouffe…


Loin de lui, loin de l’île, pendant des années, elle se reconstruit, mène une nouvelle vie d’actrice et de réalisatrice. Quand il apprend qu'Hollywood lui fait un triomphe, il quitte son île, prend l’avion, vient l’applaudir à l’occasion d’une représentation théâtrale, la félicite et repart le lendemain. Elle en éprouve une immense gratitude.
Plus tard, entre eux, tout naturellement, une tendre amitié  les incite à retravailler ensemble. À l’occasion d’un tournage, il lui confie : « Tu es mon stradivarius. »
Elle retourne deux fois encore sur l’île.
La première fois, quand il vient de perdre sa mère. Il l’appelle.
Il pleure et lui dit : « Je n’ai plus personne à présent. » Il est désemparé. Elle hésite à repartir et s’interroge : « Pourrai-je le quitter après ça ? »…
La seconde fois, il ne l’a pas appelée. Elle était loin de lui. Un matin, au saut du lit, elle a frissonné et senti dans son corps une vibration brutale. Elle a eu peur et au téléphone a cherché à le joindre. En vain…
Dans la maison inhabitée, la même atmosphère qu’autrefois. Rien n’a été dérangé. Sur le tableau blanc, elle effleure les traces décolorées de leur vie passée. Elles ont mal résisté à la lumière du jour et aux marques du temps. Certaines semblent avoir été repassées au feutre, maladroitement. Le nounours est toujours à sa place, sur le côté du tableau. Elle le décroche. Dans la poche du petit costume bleu, une feuille de papier pliée en quatre : « Depuis toujours, nous sommes douloureusement liés. Tu me manques. Je t’aime intensément. C’est une grâce.»…
Les larmes montent à ses yeux.

dimanche 24 janvier 2016

Soins intensifs




Obscure douleur. Confuse.
Au fond des yeux fermés, défilent des étoiles brillantes et des lignes rouges valsant à tour de rôle. Des lignes et puis des cercles. Des cercles et puis des boules. Manège. Bougent sans arrêt, se chevauchent, bousculent, n’attendent pas leur tour, débordent des orbites, s’insinuent dans les tempes… Douleurs.
La peau de l’index court sur un tissu : drap, doux, repassé. Dessous, une partie ignorée, un enveloppement mou.
Douleur aiguë : de bas en haut, éclair en continu et points isolés d’aiguilles enfoncées jusqu’au tréfonds.
Une odeur familière repoussante. Le cœur qui se soulève : un baiser mouillé qui effleure la bouche : « Ma chérie ».
La tête qui fait non. Non.
Une autre odeur. Celle-là aussi familière. Une autre bouche, chaude, un autre baiser furtif sur la joue, glissé près de l’oreille : « C’est bon ! Tu t’en tires bien ! » Même voix que tout à l’heure : « J’ai eu peur cette nuit quand tu m’as appelé… Tu n’as plus rien à craindre… »
Odeur d’éther. Une seule narine. L’autre obstruée par une mèche. Douleur. La mèche qui appuie trop sur la narine.
Température chaude au bas du ventre. Liquide qui ne demande rien, aucune permission pour s’évacuer. Pistolet ou poche ? Douleur. Appuie sur les cuisses entrouvertes.
Froid. Pieds et mains glacés. Sensibles. Légère agitation. Formes vivantes, reconnaissables. Isolées du reste. Quel reste ? De quoi parler puisque rien ne peut advenir d’une forme humaine. Juste des aiguilles qui s’enfoncent et poursuivent leur trajectoire vers…  Vers quoi ?
Soif. Langue énorme et rêche. Envahit le palais. Heurte les dents, les trous. Cherche l’appareil. Rencontre une douleur sur la voûte du palais blessé. Fissure ? Écorchure ? À force de la lécher, goût sucré du sang dans la bouche. Aux commissures des lèvres. « Mais, Madame, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous vous êtes mordu la langue ? » La tête dit non, encore non.
À demi-râpeux, un linge caressé autour de la bouche, avec précaution et lenteur... L’enfance... La floraline... La cuillère maladroite de la petite… La patience de grand-mère : « Regarde, tu t’en es mis partout ! »…
Coup de poignard. Un point plus douloureux que les autres. Irradiation aiguë. Sans doute gémissement. Une voix douce : « Madame, vous souffrez ? » Souffle court. La tête cette fois ne dit pas non et sans hâte, plusieurs fois, se penche en avant. « On va vous soulager. Mais quand vous avez mal, ne laissez pas la douleur s’installer. Appelez-nous. » La poire d’appel donnée dans la main. Comme un doudou. Emprisonnée dans la main. Tentation d’appuyer jusqu’à ce qui, dans la tête, ressemblerait à une fin.
  

La butte



C’était en juillet. 
Avant le départ de Simon et Raoul.
La butte Montmartre toute entière était livrée aux jeux des garnements.
Les adultes, trop occupés à travailler et à ramener du marché Lepic de quoi survivre, délivraient aux enfants, avant de les lâcher, mises en garde et recommandations.
Au fond du square des Abbesses, l’exploration interdite des carrières donnait la chair de poule. Le labyrinthe obscur et humide familiarisait avec le frisson de la peur. On aurait pu y faire de mauvaises rencontres. 
Dans les jardins du Sacré-Cœur, l’eau glacée du bassin s’aventurait jusqu’aux cuisses. Entre soi, il était admis de s’asperger, mais pas de se pousser dans l’eau. Les garçons passaient outre, poursuivaient les gamines, chahutaient leurs corps, ne ménageaient pas les croche-pieds. La jubilation de la supériorité physique s’affichait sur leurs visages.
Trempées jusqu’aux os, les filles s’enfuyaient vers les pelouses, poussant des petits cris de feinte indignation.
C’était bien en juillet.
Avant le départ de Simon et Raoul.
Avant les autobus du Vel d’Hiv.

samedi 9 janvier 2016

La vie... La mort...

Montaigne nous a enseigné que la mort n'est pas le but de la vie, mais le bout de la vie.
Un sage a dit, non sans humour, que la mort est le seul examen de passage qu'on ne rate pas.

vendredi 8 janvier 2016

L'écriture est un bonheur

L'écriture est un bonheur. Les mots sont résilience.
L'écriture distrait le chagrin. Les mots sont thérapeutiques.
L'écriture dissipe le désespoir. Les mots laminent la détresse.
L'écriture façonne la solitude. Les mots déteignent l'ennui.
L'écriture force la créativité. Les mots hissent le plaisir.
L'écriture engendre la vie. Les mots insufflent l'espoir.