Chère
E.
Pourquoi
le patronyme Stecker ?
: je ne sais pas répondre. Je l'ai inventé et construit dans ma tête comme le
bruit d'une voile qui claque dans la bourrasque, une voile prête à se déchirer
et à entraîner le mât.
J'ai
mis 4 années à écrire le roman, dont deux en tout petits pointillés durant la
maladie de mon compagnon. Et durant tout ce temps, j'ai engrangé des
informations, telles celles qui concernent le baseball, les lesbiennes de New
York, les limonaires de collection et plein d'autres qui émaillent le roman.
Je
me suis réjouie de présenter un superviseur antipathique, jugeant en
permanence, narcissique et pervers, car il n'est pas éloigné du tout de ceux
que j'ai fréquentés. Ma difficulté était de rendre plausible l'ambivalence de
Geneviève à son égard : rancœur et intérêt professionnel malgré tout. Elle lui
dit : "Tu n'es pas le plus
mauvais à Paris". Une donnée échappera peut-être au
lecteur : ce que l'Analyse Transactionnelle appelle " le processus parallèle",
la répétition de la colère entre Geneviève. et le superviseur, et ce qui va
suivre entre le client Stecker et Geneviève.
Je
me suis inspirée de ma pratique pour le personnage de Geneviève. Je ne peux pas
le nier. On écrit souvent avec ce que l’on est, avec sa matière intérieure, ses
expériences. Cette femme me ressemble, c'est vrai. On m'a reproché d'être trop
didactique dans les réponses de Geneviève. J'en ai tenu compte et j'ai éliminé
quelques passages pédagogiques. Mais, je suis une ancienne institutrice, avec
les qualités et les travers des enseignants ! Oui, cette femme est très seule,
ce que je n'étais pas quand j'exerçais mon métier, mais c'est sans doute ma
solitude d'aujourd'hui qui a déteint sur le personnage.
J'ai
eu peu de patients genre Stecker en thérapie, ils lui ressemblaient, sauf en ce qui concerne
le désir permanent dans le transfert de Stecker d'abolir les frontières
professionnelles. Je suis entièrement d'accord avec toi : "Il lui restait trop à faire pour qu'il s'en
sorte bien." C'est ainsi que je voulais son destin et sa
fin tragique. Aussi, j'ai été contrariée par la réaction d'une amie qui a
regretté la tournure finale du roman, me disant : "Moi, je voyais un homme qui s'en sort, qui
va publier ses souvenirs de thérapie, qui va sortir de sa cellule, qui va être
sauvé par la rédemption de sa mère..." J'ai été tellement
déçue par cette réaction « Happy
end », que j'ai juste répondu qu'il s'agissait de mon livre et
que j'en étais l'auteur.
New
York est la patrie d’adoption de Stecker, sa vraie ville pour laquelle il n’a
que tendresse. Il y passe plusieurs jours d'escale par mois et la connaît par
cœur. J'ai bien aimé écrire le passage d’immense solitude où il se trouve quand
il fait l'amour avec une femme dont il ne se souviendra même pas du visage.
Comme un point culminant de sa détresse amoureuse après avoir compris qu'il ne
peut plus rien attendre de Nanouche, ni rien espérer de Micky. Cette jeune femme
et Ralph sont de vrais amis pour lui et le resteront jusqu'à la fin.
Malheureusement, il y a les obstacles de l'éloignement géographique et des
activités prenantes dans la vie de chacun.
IL
n'est pas si ignare que cela : il a
fait des études importantes, il lit (Stoner,
un roman que j'adore !), il raffole du jazz, il tente d'être à la hauteur
de sa compagne Nanouche qui le domine intellectuellement.
Nanouche
est obsédée par son désir d'enfant, attisé par l'instrumentalisation de sa
famille. Sans cet entourage, aurait-elle accepté la volonté de Stecker
de refuser la paternité ? Une chose est sûre : la paternité déroute et panique
Stecker. Il n'a de modèle que son père défaillant, lâche et cupide. Il ne veut
pas lui ressembler et ignore qu'il pourrait tourner le dos à cet unique modèle.
C'est là, où on pourrait faire un reproche à la thérapeute Geneviève. : ne pas avoir montré à
Stecker qu'on peut faire autrement dans la vie et que les figures parentales de
notre enfance ne sont pas une fatalité répétitive. Sans doute, a-t-elle été débordée par les débordements permanents de Stecker.
Pour finir, je voudrais te parler de mon trouble.
Je viens de finir "Le
jour d'avant" de Sorg Chalendon, un auteur que j'adore. Il
parle de borderline, ce qui n'est pas courant dans une fiction,
et j'ai reconnu mon roman à de nombreuses occasions. Veux-tu bien le lire et me
dire ce que tu en penses ? On dirait qu’il y a dans l’air du temps les mêmes
préoccupations chez ceux qui écrivent. Toute mon affection. Ton amie Danièle.
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