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lundi 28 mars 2016

Les figues




Celles qui étaient à portée de main avaient déjà été cueillies. D’autres avaient nécessité le râteau pour faire ployer les branches ou encore pour se hisser sur l’escabeau. Toutes les autres étaient inaccessibles.

Ce dimanche, jour anniversaire de sa mère, elle ne se sent pas très en forme. Un peu de nausées et quelques vertiges dus à la persistance dans son corps du roulis éprouvé la veille. Dans le port d’Antibes, le bateau des amis était resté à quai, en raison du mauvais temps annoncé, et n’avait cessé de tanguer. Elle avait refusé de diner sur le pont ce qui avait contrarié son mari.

À l’ombre du figuier, la nonagénaire émue s’éponge le front. La fête a donné lieu à des cadeaux chaleureux et parfois drôles comme ceux des amis parisiens qui ont acheté d’énormes bougies vertes en forme de cactus du Mexique. Autour de la table, les convives rient et se grisent de souvenirs. Il y a ceux que la langue française accompagne et ceux qui réveillent le passé dans la langue de là-bas.
Elle les observe tandis qu’ils se régalent avec ces cannolis de Catane qu’elle a confectionnés avec amour et songe au tableau de Rouen Le repas de noces à Yport : les verres qui trinquent, les reliefs du repas abandonnés sur la nappe, la chaleur caniculaire qui s’invite sous les vêtements et, sur les visages, ces quelques trouées de lumière qui percent entre les feuilles.
La musique est aussi de la fête. Son frère joue sur le piano électronique et accompagne la belle voix puissante du cousin qui donne aux chansons de Michel Fugain un rythme pétillant.
Comme tous les autres, son mari apprécie le dessert, mais en regardant sa montre, il s’excuse auprès de l’assistance : la compétition du billard-club de Saint-Raphaël démarre dans une heure, il n’est pas possible de s’y soustraire. Avant qu’il monte dans la voiture, elle lui demande de bien vouloir porter la lourde échelle devant la façade de la cuisine d’été. Au-dessus du toit de cette dernière, des branches sont encore couvertes de figues. Il suffit de braver quelques mètres pour les atteindre.    

D’une main, elle tient le large panier de vigneron dont elle a recouvert le fond de plusieurs épaisseurs de papier ménager et de l’autre un des montants métalliques de l’échelle. Elle gravit un des barreaux, se ravise et redescend : les Scholl sont inadéquates. La semelle rigide ne permet pas au corps de se stabiliser sur les barreaux. C’est donc pieds nus qu’elle reprend son ascension. Ce n’est guère mieux. Le métal est froid. Le pied au centre de chaque barreau peine à se courber pour en épouser la forme et se maintenir en équilibre. Elle se cramponne jusqu’au toit, passe une jambe au-dessus du dernier barreau pour prendre appui sur la gouttière et perd l’équilibre. Le corps chute en arrière.

Rien. Elle ne se souviendra de rien à partir de cette seconde où elle s’est sentie projetée dans le vide. La suite, ce sont les proches qui la raconteront. Le frère médecin a ordonné que personne ne touche au corps allongé sur le dallage. Les secours ont été appelés. Les crocs du chien ont fait barrage devant le corps de sa maîtresse ce qui a déstabilisé les pompiers quelques instants. Le frère a tenté d’atténuer la panique générale en affirmant avec humour, qu’en cas de guerre, quelques molosses suffiraient à mettre une armée en déroute.

À l’hôpital de Saint-Raphaël, le mari a appris que sa femme souffrait d’une fracture de la clavicule, d’un enfoncement de l’omoplate et de trois côtes cassées. Quand elle est sortie du coma, elle a entendu ces mots : « Tu souffres ma chérie ?... Pas trop ? Tant mieux ! Je vais bien m’occuper de toi quand tu sortiras d’ici. »
  

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