Le deuil traumatique est un deuil spécifique dans la
mesure où il me semble irréparable. A la fin des années 70, Claudine Vegh,
médecin à Paris, est invitée dans une synagogue à une Bar Mitzvah. Elle y
rencontre des hommes et des femmes de confession juive, qui vont un peu plus
tard accepter de lui parler de ce qui leur est arrivé. Elle procède à 17 entretiens
d’adultes qui ont été enfants pendant la seconde guerre mondiale et qui, tous,
ont perdu leurs parents, disparus dans la tourmente de la Shoah. Enfants entre 1940
et 1945, arrachés à leur famille, ils ont survécu grâce à ceux qui
les ont cachés. Ils n’ont jamais revu leurs parents, les ont attendus
longtemps, n’ont rien su des conditions de leur mort, n’ont aucun lieu de
sépulture où ils pourraient se recueillir.
Devenus adultes, ils
mènent une vie en apparence normale jusqu’au jour où un événement banal de la
vie quotidienne a fait basculer leur existence dans un cauchemar. C’est ainsi
que Lazare raconte à Claudine Vegh : « Un soir je suis appelé en urgence, j’oublie mes papiers. Contrôle de
police : j’explique, je me présente, j’ai le caducée de médecin, je suis à
cinq minutes de mon domicile. « Suivez-moi au poste ! » me
dit le policier. J’ai eu une drôle de
réaction, j’ai dit : « Jamais ! » Et je me suis couché au
milieu de la rue. J’ai refusé de bouger. Ils m’ont transporté au poste. C’est
ma femme qui a apporté les papiers et est venue me chercher ! »
La réaction de Lazare,
c’est Bruno Bettelheim qui nous l’explique dans la postface du livre, en
évoquant la notion de refoulement. Les
enfants juifs, arrachés des bras de leurs parents, ont dû se plier à des conditions
de vie nouvelles et radicales, côtoyer des gens inconnus, s’adapter à des situations
qui leur étaient étrangères. Ils n’ont pas vécu, mais survécu, dit Bettelheim, au
prix d’un silence absolu sur un sujet devenu tabou.
Dans le deuil
traumatique, on ne parle pas de ce qu’on a perdu. Les mots sont devenus
imprononçables. La menace de mort plane au-dessus des enfants, parce que ce qui
a anéanti leurs parents est aussi un danger pour eux.
Le refoulement est l’enfouissement au plus profond
de nous-mêmes de ce qui pourrait porter atteinte à notre intégrité. Il ressemble
à une chute vertigineuse dans le vide immense qui
se creuse en nous. C’est un lent processus dévastateur, car il est sans cesse
menacé par le surgissement inopiné de ce qui a été refoulé. C’est ce retour du
refoulé qui arrive à Lazare au moment où le policier lui demande ses papiers.
Il revit alors une scène effroyable, celle où son père, décoré de l’étoile jaune,
est interpellé par la police de Vichy devant son fils. Tous les efforts
déployés par Lazare pour oublier cette scène traumatique sont anéantis en une
fraction de seconde et Lazare est livré à l’angoisse.
Autre deuil
traumatique : la
disparition des enfants, des jeunes, des adultes dont les portraits souriants s’affichent
dans nos gendarmeries. Ces personnes ont disparu un jour, il y a quelques mois,
quelques années. On n’a plus jamais rien su d’eux.
Ce que dit encore
Bettelheim, c’est qu’il est impossible de faire le deuil des personnes qui ont
disparu de cette façon. Ces morts restent en nous. Il n’y a pas d’oubli
possible, de paix possible, de guérison possible. La plaie ouverte ou enfouie
reste aussi présente qu’au premier jour et ne sera jamais cautérisée.
Dans mon livre, voir le
récit de Madeleine page 54.
A suivre...
A suivre...
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