-…….
- Rien, j’ai rien dit. C’’est
elle qui m’a d’abord parlé. Comme si rien ne s’était produit la veille, elle
m’a lancé : « Salut, chéri. Merci pour le thé. Viens t’asseoir près
de moi que je te raconte ce rêve de dingue que j’ai fait cette nuit. »…
-…….
- Bah, oui, je me suis
approché du lit. J’étais encore accablé, dégoûté, plein de mépris. Moi, je
voulais qu’on reparle de la soirée désastreuse et des conséquences inévitables qu’elle
aurait sur mon avenir. Mais d’un geste de la main, comme on fait pour appeler
son chien, elle a dit en me montrant le lit : « Viens !
Assieds-toi là. Un rêve, je ne te dis que ça ! Ah ! non, d’abord
donne-moi de l’aspirine. Y’en a dans le tiroir de la table de nuit. J’ai trop
mal ! »
-…….
- Non, je ne lui ai pas
donné autre chose ! Juste de l’aspirine 1000 dans sa tasse de thé. Non, je vous dis ! Vous êtes têtus
quand même ! Pas autre chose ! En se frottant les tempes, elle s’est
mise à me raconter une histoire de soirée arrosée. Ses anciens amants étaient
là, elle en a reconnu trois. Ils avaient tous la tête de Lérissac, peinte en
jaune, en rouge, en noir. Des tics nerveux agitaient leurs moustaches, genre Brigades du Tigre, avec des yeux de
merlans frits, qu’elle disait… et un chapeau melon enfoncé sur le crâne… Elle
me provoquait avec des détails sur ce qu’ils avaient entrepris tous les quatre
pour s’amuser ! Et puis elle a dit : « Et toi, mon chéri, t’étais
dans ton coin, et tu t’étais fait la tête d’un affreux diable rouge, avec des oreilles
démesurées pour ne rien perdre de nos roucoulades. T’avais la mâchoire grande ouverte.
Je crois même que tu avais un dentier car tes dents étaient…Hi !
Hi !Hi ! comment dire, impeccables, trop belles, trop blanches. Mon
pauvre chéri ! Même des cornes avaient poussé sur le sommet de ton front !
Comme... dans la vie ! »…
De nouveau, le silence s’installe. L’homme cherche à
se gratter le dos en se frottant contre la chaise. Les policiers attendent. Ils
savent qu’il va craquer. L’habitude !
- Un sang glacé
me montait jusqu’aux yeux. J’avais la tête comme une pastèque prête à exploser.
Vide et lourde à la fois. Je me suis levé pour ouvrir le store et les lourds
rideaux de la chambre. Une lumière aveuglante est entrée. Ma femme
débloquait toujours : « Chéri, reviens ! Donne-moi un gros baiser
bien baveux, montre-toi mon chéri au lieu de regarder dehors ! » J’ai crié : « Mais t’es devenue dingue ou
quoi ? » Mes pensées s’effritaient les unes contre les autres et elle,
elle continuait son bourdonnement de paroles confuses. Je suis sorti sur la
terrasse. La tête dans le brouillard. Je faisais les cent pas comme un
somnambule et je tremblais en tirant sur ma cigarette. Je me sentais au bord
d’un abîme. Dégoûté. Ses phrases fracassaient mon cerveau. Et sa mauvaise voix,
haut perché.
-…….
- Hein ? Mais non, je
ne pensais à me venger ! Ne me regardez pas comme ça ! J’suis pas un
assassin !... Quand je suis revenu dans la chambre… quand je suis revenu
dans sa chambre… elle était profondément endormie et couchée sur le ventre. J’entendais
sa respiration, un sifflement régulier, un bruit insupportable qui sortait de
sa bouche ouverte. Et la masse de son chignon qui lui mangeait la moitié du
visage. Par terre, j’ai ramassé machinalement les deux oreillers. En me penchant,
j’ai senti son souffle fétide… Après, après, je ne sais plus… Un petit
grognement animal… un gémissement à peine audible… un mouvement saccadé des
épaules… (Fin)