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Communiquer avec vous, à partir des thèmes qui m'intéressent, et pour lesquels je souhaite vos réactions : l'actualité, les livres, les films, les musiques, et bien sûr les différents sujets auxquels la vie nous confronte.

mardi 14 mai 2013

Le jerrican

- Allo, oui ?… Allo ? Je vous écoute… Oui, bien sûr. Mais où êtes êtes-vous ?… Oui, je connais. Je regarde ce que je peux faire pour… Attendez madame, laissez-moi finir. J’attends mon collègue... Oui, dés qu’il sera de retour, je vous dépanne. Vous m’avez bien dit en haut de la rue des Martyrs ?… En face de la boulangerie Yvonne Le Tac ? On est bien d’accord ?… Ok ! Comptez sur moi. Je serai là dans… Non, je n’en ai pas besoin, je vais raccrocher, il va s’afficher sur l’écran. Disons dans trois-quarts d’heure. Ça vous va ? Bon, très bien. À tout à l’heure.

Sur le moment, j’ai pensé : « Quelle casse-pied ! Si je l’avais laissée parler, elle m’aurait donné le pedigree de tous les anciens propriétaires de la voiture. »  Et puis, le collègue est arrivé. J’ai été surpris :
- Ah ! Salut, Roger, tu as fait vite, dis donc ! Je vais dépanner un coupé Mercedes. Les femmes, le jour où elles auront compris qu’il faut donner à boire au réservoir, je te jure, on verra voler des brosses à dents. ! Bon, je crois qu’un jerrican de cinq litres suffira. Ah ! Au fait, après, je ne repasserai pas à la station. Je rentre chez moi, ça te va ? J’ai promis à Laurence de l’emmener au cinéma.

Le coupé Mercedes était fermé à clefs. Ça m’a franchement mis en colère. Elle voulait être dépannée ou pas ? J’ai même pensé que cet appel pouvait être une blague. Mais non, j’avais son numéro. En tout cas, j’étais bien décidé à ne pas l’attendre cent sept ans. Même si j’avais parlé de trois-quarts d’heure au téléphone, elle aurait pu rester dans la voiture à m’attendre.
Et puis de loin je l’ai vue arriver. Elle sortait du café des Marronniers. Bien sûr, moi, je ne l’ai pas reconnue, mais elle, elle a levé son bras au-dessus de sa tête et l’a agité comme quand on croit qu’un automobiliste va enfin s’arrêter au bord de la route. Elle était toute menue. Sa robe se soulevait et on voyait un de ses genoux. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne m’attendais pas du tout à un petit bout de femme comme ça. !
Et puis, le temps de m’étonner, elle était déjà à côté de moi.
- Je suis désolée, monsieur. J’espère que je ne vous ai pas fait attendre.
Dans le timbre de sa voix, il y avait un je ne sais quoi qui me rappelait l’enfance. Une façon de moduler les mots, comme le faisait Jeanne, ma sœur.
Sur le coup, je me suis trouvé bête. Heureusement, il y avait le jerrican. Elle l’a désigné du doigt :
- Vous savez, je suis confuse, mais ça ne m’arrive jamais de tomber en panne. Sauf que voilà, aujourd’hui j’étais pressée, je me suis dit qu’il fallait rentrer préparer le dîner. C’est toujours stupide la panne d’essence, non ?
J’ai acquiescé :
- Surtout quand on est pressé. Mais, pardonnez-moi, si je peux me permettre, vous habitez tout près. Vous l’avez dit tout à l’heure. Vous auriez pu appeler votre mari ?
Et là, j’ai lu dans son sourire, qu’elle m’avait vu venir avec mes gros sabots. Je me suis mordu la langue et j’ai pensé : « Quel imbécile tu fais, mon pauvre vieux ! »
Avec un léger sourire au coin des yeux, elle a tout de même pris la peine de me répondre :
- Oui, c’est vrai, j’aurais pu appeler mon mari, sauf que je n’ai pas de mari.
On aurait dit une petite phrase musicale. Je crois que c’est ça qui m’a chaviré. Ça… et aussi quand même l’absence de mari.
Elle s’est assise au volant pour déverrouiller le réservoir. J’ai appuyé le bec verseur et l’essence a coulé lentement vers le ventre de la voiture. Je pensais qu’elle viendrait près de moi voir la manœuvre, mais elle n’est pas sortie de la voiture et je l’ai entendue qui parlait :
- Oui, ma chérie, rue des Martyrs. Non, pas chez Justine. En panne d’essence. Mais j’arrive. Le temps de payer. Tu peux mettre l’eau des pâtes.
Et là, moi, avec Le temps de payer j’ai eu une étincelle. Quand elle a sorti son gros billet, je lui ai tendu la carte du garage :
- Vous payerez demain. Je n’ai pas de monnaie. Mais si, demain ! Je vous fais confiance.
J’avais peur qu’elle ait l’idée de repartir aux Marronniers chercher des petites coupures. Mais au lieu de cela, son regard est devenu pétillant comme du bon champagne d’anniversaire. Elle a glissé l’argent et la carte dans son porte-monnaie. Quand elle est remontée dans le coupé, la robe s’est encore écartée de son genou. Elle a démarré sans clignotant, et j’ai vu qu’elle ajustait le rétroviseur. Pour me regarder en partant ? Pour quoi d’autre alors !
Et puis, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai attrapé le portable au fond de ma poche. Il n’a jamais aimé la violence celui-là. Il est tombé dans le peu d’essence que le jerrican avait laissé couler par terre. Son numéro, c’était le dernier qui s’était affiché. Ça m’a rassuré. Il n’y avait plus qu’à attendre demain.

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