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mardi 6 septembre 2011

C'est la rentrée!

Oui, voici venu le temps de la rentrée et pour vous, ce petit cadeau: un extrait de mon récit "La jeunesse d'une fille d'immigrés siciliens" paru en 2008. C'était toute une époque, me direz-vous! Je le souhaite.

« Mesdemoiselles, vous sentez mauvais ! »
Madame Trabert, narines écartées et grimace à l’appui, avance lentement dans les rangées. Penchée au-dessus de ses élèves, elle fait mine d’ausculter le contenu des pupitres. A chaque pas, le parquet de la classe craque, mais malheureusement ne s’ouvre pas pour l’engloutir.
Elle s’arrête quelquefois, toise une à une les adolescentes. Sa voix les transperce jusqu’aux os. Les syllabes s’égrènent distinctement :
« Mes-de-moi-selles-, vous- sen-tez- mau-vais ! »
Elle sort son fin mouchoir bordé de dentelle et s’en couvre le bas du visage.
Quand Madame Trabert ne pratique pas l’inspection des pupitres, il lui arrive de s’intéresser aux têtes enfantines. Armée de sa règle, les lunettes sur le nez, elle soulève lentement les mèches de cheveux, avec un certain dégoût, à la recherche des lentes et des poux. Examiner la propreté des têtes, des mains et des ongles est monnaie courante, mais elle peut pousser le raffinement jusqu’à faire déchausser ses élèves.
Depuis bientôt vingt ans, Madame Trabert est chargée de l’avant-dernière année de primaire, juste après la classe de Mademoiselle Faure. Dès cette classe, les adolescentes peuvent être présentées au Certificat d’Etudes.
A la regarder évoluer dans sa classe, dans les couloirs et aussi dans la cour quand elle surveille la récréation, on pourrait confondre Madame Trabert très raide avec un coq victorieux au panache irréprochable. C’est un général d’infanterie qui aurait gagné des galons à la guerre et atteignant le plus haut grade, attendrait avec fierté les décorations méritées. Elle s’époumone de toutes ses forces dans son sifflet et s’efforce de gonfler d’autorité sa pauvre poitrine plate vers les élèves chahuteuses.
C’est avec appréhension qu’en octobre, Angelina entre dans la classe de Madame Trabert. Elle connaît la maîtresse de réputation, mais ne soupçonne pas ce qu’elle va vivre jusqu’aux vacances d’été.
Le : « Mesdemoiselles, vous sentez mauvais ! » est une des toutes premières réflexions amicales de la maîtresse, qui sans doute utilise ici un moyen très personnel d'éduquer les enfants à l’hygiène corporelle.
La présence de lentes et de poux est un vrai cauchemar pour Angelina. A treize ans, elle possède à présent une abondante chevelure ondulée, une sorte de casque brun épais que les autres camarades appellent la tignasse et dans laquelle les parasites ne sont pas rares. Madame Trabert ne se prive pas de donner des instructions pour éliminer les indésirables. Angelina ne raconte pas à sa mère comment la maîtresse s’adresse aux élèves, en classe. Mais chaque samedi soir, elle et sa sœur Santa, baissent la tête sous la lampe, attendent patiemment de leur mère l’épouillage douloureux et le rinçage des cheveux au vinaigre.
Durant toute une année, Madame Trabert maltraite, terrorise, humilie les élèves en général, avec un supplément de cruauté envers celles qu’elle n’aime pas. Angelina va devenir une de ses souffre-douleur.
Personne n’élucidera jamais pourquoi cette femme habillée de manière très chic, comme seules peuvent l’être les bourgeoises, se vantant d’être mariée à un directeur de banque, d’habiter du côté des Invalides, parlant à tout bout de champ en classe de sa domesticité, travaille dans cette école de la butte Montmartre fréquentée par des élèves de milieux plutôt modestes. Crainte de s’ennuyer dans l’oisiveté ? Occasions inespérées et journalières d’assouvir son sadisme et sa sourde haine des étrangers ?
Au cours de l’année précédente, passée auprès de Mademoiselle Faure, les adolescentes avaient adopté des habitudes de liberté et d’assurance, qu’elles vont s’empresser de réfréner bien vite chez Madame Trabert. La maîtresse de cette année a opté pour une autre conception de la discipline. Elle ne complimente pas, distribue généreusement des punitions et des lignes. Très rapidement, par exemple, les élèves comprennent qu’il n’est pas question de se lever spontanément dans le local, de communiquer avec les autres, de chercher de l’entraide, de lever le doigt pour obtenir une explication supplémentaire quand la maîtresse a terminé un énoncé. Il n’est pas question non plus de fixer la maîtresse rébarbative, de soutenir son regard dur ni de s’attarder sur les lèvres rouges qui laissent échapper des paroles aussi tranchantes que des lames de rasoir.
Et pourtant la bouche de Madame Trabert est hypnotique. Angelina, en l’écoutant, pense à la légende des deux sœurs. L’une était douce et aimante : de sa bouche s’écoulaient du miel, des roses, des pierres précieuses ; l’autre avec agressivité, n’exprimait que des méchancetés, qui prenaient la forme de bêtes repoussantes, de serpents, de crapauds et d’araignées.
Madame Trabert ressemble beaucoup à la seconde sœur de l’histoire, telle que l’imagine Angelina. Elle a les pommettes saillantes, les joues creuses, le profil escarpé avec un nez aussi long qu’un triangle isocèle :
« Insolente, baissez les yeux, Mademoiselle, mais que vous apprend-on chez vous ? Rien, je suppose… bien sûr ! »
La voix est aiguë, stridente : une vraie voix de fausset. Angelina sait à quoi Madame Trabert fait allusion : juste avant les vacances de Noël, la plupart des élèves françaises avaient apporté des boîtes de crottes en chocolat à l’institutrice. Tradition oblige ! Les boîtes enrubannées étaient parfois si larges qu’elles tenaient difficilement sous les bras des adolescentes.
A l’époque, ce cadeau de fin d’année civile aux enseignantes était quasiment inévitable. Mes grands-parents ne connaissaient pas certains usages de l’école et n’avaient pas participé aux présents.
Le soir des vacances, la maîtresse, prévoyante, était venue en classe avec un large cabas à provisions. En fin d’après-midi, Angelina la regarda empiler les boîtes de chocolat dans le sac. Aucune ne fut ouverte à l’intention des élèves pour fêter les vacances et les fêtes de fin d’année !

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